dimanche 20 avril 2008

Ubuesque réforme de l'enseignement des langues vivantes.


Depuis 2005 et après un long processus de réflexion, coordination et institutionnalisation (Scions, Scions !) l’enseignement des langues vivantes s’est vu transformé par le Conseil de l’Europe du monde d'Ubu et son Cadre Européen Commun de Référence en Langue (ça en jette hein ?)

Explications (Désolée…mais il le faut, n’avez qu’à vous servir un apéro, ça aidera) :

L’Union Européenne d'Ubu, même si elle est dirigée par des ambitions souvent économiques, compte encore quelques intellectuels qui croient, eux, à la communication entre les peuples et à la richesse des échanges.

Le Conseil des grands sages d'Ubu a cherché à mettre en place une réforme pour :
- Uniformiser (beurk !) les examens scolaires.
- Permettre la mobilité des citoyens dans le domaine professionnel
(qu'un citoyen d'Ubu du nord puisse aller bosser dans le sud d'Ubu : c'est bien pratique mais peut être aussi esclavagisant quand il s'agit de le faire travailler aux conditions de son pays d'origine...merci le TCE)
- Favoriser les échanges – humains, économiques, professionnels, intellectuels – entre les Espagnols, les Français, les Allemands, les Italiens…etc.
(Chuuut, faut pas parler des Roumains ! on n'est pas tous égaux à Ubu...il y a des citoyens Ubu de seconde zone qui habitent à Ubu, mais pas trop quand même !) ...Vomitive Union Ubueuropéenne ...
On est quand même 27 pays à faire partie de l’Ubueurope et avec 35 langues officielles parlées dans l’Europe géographique, il fallait bien faire quelque chose de ce côté là !

Et ça sert ! Regardez les mecs de Dacia-Renault : c'est grâce au Français approximatif des ouvriers roumains qu'ils arrivent à organiser de mini-grèves européennes. Tant que l'Ubuyen ne prendra pas le pas sur l'esperanto on ne s'en sortira pas!


En attendant, on ne peut pas leur reprocher d’avoir voulu harmoniser l’enseignement des langues.

Cependant, il ne faut pas en rester là car il y a un véritable fossé entre la théorie (les prescriptions) et la pratique (ce que nous pouvons réellement mettre en place dans nos classes : le réel, quoi !) : c'est bien de pondre des trucs intéressants, même indigestes, mais encore faut-il que les gens du terrain, nous, les profs, puissions les mettre en pratique.

C'est là toute l'absurdité, l'"ubuesquerie" du système éducatif (comme du fonctionnement d'Ubu dans son ensemble) : les règles tombent d'en haut sans que ceux qui les reçoivent sur la figure n'aient été suffisamment préparés ni informés...Bah, le petit personnel d'Ubu a l'habitude...

Principe du Cadre-Européen-machintruc :

Dans le jargon technocrate des profs de langue, on l’appelle CECRL mais nous l’appellerons le plus souvent "Cadre" parce que c’est plus facile.

Comment ça marche ?

Eh bien, dans tous les pays qui appartiennent à l’UE (Union Européenne et pas Ubuesque Europe, je vois venir les mauvais esprits), les petits enfants et les grands qui se mettent à l’anglais ou au roumain tardivement nsont évalués selon un cadre (le fameux "cadre" !)

Trois niveaux :
A = niveau de survie, je peux manger, boire, dormir, mais ce n’est pas dit que je puisse emballer quelqu'un, le p’tit canon à la main, acoudé au bar.

B = niveau intermédiaire, je peux satisfaire tous mes besoins primaires et commencer à avoir une vraie discussion sur l’oreiller à condition de savoir parler avec les mains et d’être super bon à « Dessiner c’est gagner » !

C = niveau expérimenté, je peux lire Kant dans le texte et en VO! Waouuuh : comment je peux trop frimer ! mais j'peux aussi expliquer à ma pote Alison que Londres c'est beau, mais que côté services publics, l'Angleterre, ça craint !


Dans le fond, l'idée est bonne sauf que le cadre est beaucoup trop détaillé et si lourd qu’aucun prof de langue n’a le temps de lire, occupés qu'ils sont tous à remplir leurs tâches quotidiennes (de profs) et à remplir de la paperasse inutile (merci l'administration !)

Toujours est-il que lorsqu’on lit ce pavé en diagonal (le CECRL fait au moins 190 pages) en méditant chaque chapitre tout seul dans son coin, le risque de "déraper" est important. Entendons-nous.

Attention danger : (Oula! Oula! Oulala! chantaient Ludwig Von 88! - pour les fan de punk)

Dans la plupart des bahuts, on a balancé cette réforme, comme toutes les autres, à des profs –jeunes ou vieux, néotit’, vacataires, expérimentés, étrangers, français – sans la moindre explication ni réelle formation. Une journée par-ci, par-là à l'Inspection Académique ou à l'IUFM, entre deux pauses café et la cantine.

Or, ces mêmes profs ont dû, en trop peu de temps, mettre en place de nouvelles épreuves, avec de nouveaux types de documents et surtout une nouvelle philosophie privilégiant l'importance de l'oral et beaucoup de raccourcis ont été pris (c'est ce que signifie "déraper")

C'est la faute à "Pas d’bol" :

Paloma, la prof d’italien est en train d’organiser un échange avec Rome; elle n’a même pas le temps de lire
femme actuelle, alors, l'intégral du Cadre...

Le prof d'allemand, lui , c'est l'intégral de Kant qu'il préfère lire et en effet, c'est plus utile, pour préparer ses Terminales Littéraires à l'approche imminente du bac.

L'autre prof d'italien, Claudia, c'est l'intégral de Gramsci qu'elle n'arrive pas à terminer. De toute façon, elle a abandonné les nouvelles de Dino Buzzati avec ses élèves qui ne comprennent rien et elle se dit que faire des débats sur l'utilité des téléphones portables, ce sera toujours mieux pour rétablir la communication entre elle et eux - communication rompue depuis plusieurs années (depuis qu'ils ne savent plus faire la différence entre un adjectif et un verbe). Des années d'incompréhension mutuelle, ça use : heureusement, le Cadre (qu'elle a compris très vaguement) est là pour la sauver : fini le calvaire des expressions écrites, vive le débat démocratique !

Sue Ellen, la prof d’anglais, elle picole depuis qu’elle a compris qu’elle n’avait définitivement aucune autorité sur ses relous de gamins mais qu’elle persiste à ne pas changer de boulot. Alors, franchement, elle préfère lire les contes d’Andersen en Anglais et aller en Ecosse goûter du bon whisky à chaque vacances de printemps. Le Cadre, version "débat oral" démocratique, ça lui va bien aussi.

Quant à Mercedes, la prof d’espagnol, son trip c’est le flamenco, ses enfants et son mari qu’elle garde à la maison à bon coup de "paëlla maison" (= deux heures de préparation à caler entre les devoirs des gamins et la réunion de l’association
Viva España pour préparer le spectacle de fin d’année), alors pour lire le pavé qu’est le CECRL, on repassera !

Et puis bon, Miskyna, la prof de russe elle galère avec ses 18h de service réparties sur 4 établissements, situés dans un rayon de 60 km autour de son domicile. Elle est crevée et elle a du mal à payer son loyer qu’elle partage avec la prof d’arabe qui bosse dans les mêmes conditions qu’elle. Du coup, toutes les deux, le soir, elles préfèrent corriger leurs copies de collégiens
et de lycéens (car oui…elles ont tous les niveaux) sur le canapé en regardant la nouvelle star parce que ça fait du bien de rire un peu entre copines!

Est-ce la réforme qui est ubuesque ? Pas tant que ça.

Pendant des décennies, nous avons formé des élèves à être capables de décrire le tableau de Guernica dans le détail ou d'expliquer les poèmes de Schiller. Il était peut être temps de penser à les rendre capables de communiquer, à leur apprendre, entre autres, comment demander une chope de bière dans un pub de Galway (et je vous parle même pas du Frenchy accent..."so cute" mais un peu ringard quans même !)I l faut dire que 35 élèves par classe, ça n'aidait pas..

Aujourd'hui la politique des langues étrangères a changé : ne prêtons pas de mauvaises intentions. Disons même que l'idée était louable...
Mais comment expliquer que les profs de langues en sont arrivés, en deux ans d'existence de cette réfome, à délivrer des certifications en langue à des élèves qui parlent mieux avec leurs mains, par des grimaces et des dessins qu'avec des mots?



Pourquoi acceptent-ils d'apposer un 15/20 sur une copie de bac à un élève qui, à une question de compréhension écrite du genre "Comment s'appelle le héros du texte et quelle est sa nationalité?", répond littéralement - dans la langue évaluée - "Marcel nom principal personnage. Lui être françoisais"???!!! (véridique!)
Bien sûr que le prof correcteur devine que l'élève a compris, mais sincèrement, côté communication, il faudrait peut être revoir sa copie...et pas que celle de l'élève en question!
A moins qu'il faille s'extasier devant un élève qui, au bout de 5 années d'étude d'une langue vivante, parvient à aligner dix mots, et tant pis s'ils sont dans le désordre?...

C'est simple, lorsque vous organisez un débat d'une heure avec 20 élèves et qu'il faut noter tout le monde, chacun dans son rôle, on valorise la moindre prise de parole, fût-elle incorrecte grammaticalement. On loue "l'intention", le jeu (comme au théâtre), la valeur des arguments (comme en philosophie)...autant de critères qui ne sont pas pour autant linguistiques.


Un prof d'Ubu a tenté l'expérience : prof de maths, il participé à un débat dans une langue étrangère qu'il avait apprise à l'école il y a plus de 15 ans : deux phrases apprises par coeur (puisque le thème du débat et le rôle sont fixés à l'avance) et le voilà avec un 17...Pas étonnant si ceux qui plafonnent à 7 en Français parviennent à décrocher un 14 en langue.
Que mesure t-on ? Quelles compétences ? Ne faut-il pas que les bases soient assurées avant de pouvoir se livrer au jeu de la conversation ?

Peut-être est-il simplement difficile d'assurer que la "culture classique" (de surcroît, étrangère. Cf. Shakespeare, Don Quichotte, Goethe etc.) soit transmise aujourd'hui à des élèves qui ont du mal à maîtriser leur propre langue (non un "substantif", n'est pas une nouvelle marque de capote...) Il est plus facile de les noter sur leur propres aptitudes : la tchatche ! Ce que les textes officiels d'Ubu nomment très poétiquement "Compétences pragmatiques"!

Alors l'oral, comme partie intégrante de la formation de nos élèves en langue, oui d'accord ? ! A condition que ce ne soit pas l'occasion de casser le baromètre d'une pseudo école "démocratique" où le débat participatif vient remplacer la culture et la parole de l'enseignant et où la communication vient remplacer la maîtrise de la langue...

Ah, "l'ère de la sacro-sainte communication" : on ne parle que de ça ; on note maintenant les èlèves sur leur capacité à communiquer (entre nous, on peut très bien communiquer avec les mains et se faire comprendre...) mais la maîtrise d'une langue, c'est autre chose : les bases nécessaires manqueront pour que l'exercice devienne vraiment ludique et profitable...

Mais comme nous l'avons dit, nous n'en voulons pas au Cadre (qui n'est qu'un cadre, comme son nom l'indique et qui offre une certaine liberté) : nul n'interdit de continuer à intégrer des éléments de culture dans ce nouvel édifice.

Alors, les profs de langue...un peu d'esprit critique ?


ANNEXE : la maîtrise des langues par nos élèves illustrée par deux exemples :

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La première illustration est tirée du Mammouth Déchaîné
(http://www.le-mammouth-dechaine.fr).
Merci pour eux.