dimanche 23 mars 2008

C'est môa le chef !



Au royaume d'Ubu, les petits font la loi : ils se drapent dans leur fonction et leur habit social et adoptent un langage précieux et maniéré pour forcer le respect. Le petit chef se tient très droit quand il marche (quand "il glisse", plutôt, tant son pas est feutré - au cas où il pourrait surprendre une conversation) dans les couloirs de son administration. Le menton est un peu relevé (sa taille l'y oblige mais aussi l'assurance dont il doit témoigner à l'égard de ses inférieurs), le regard est souvent de biais. Le chef ne dit pas forcément "bonjour" (son statut de hiérarchique le lui permet) mais il attend par contre des témoignages de politesse sur son passage (inclinations soumises du bonnet et regards dirigés vers le sol sont bienvenus).
Le petit chef s'autorise aussi quelques indiscrétions (normal, il est chef) :
"Alors, M. ou Mme trucmuche, qu'avez-vous fait ce WE ? Quels sont vos
projets pour l'avenir ? J'ai appris que vous alliez vous marier ?"
Ces questions apparemment courtoises sont en fait perfides car vous sentez bien (il vous le fait sentir) qu'elles sont à sens unique et qu'il serait évidemment déplacé de lui demander :
"Et vous, ça s'est bien passé ?" "Vous avez jardiné ce WE?"
Le petit chef, sous ses allures courtoises, marque alors encore une fois sa supériorité. Sous couvert de relations professionnelles sympathiques et nécessairement informées (il est important pour l'organisation de son établissement qu'il sache si vous allez vous marier, par exemple), il pénètre dans votre vie privée et entreprend de comprendre l'architecture des relations humaines qui régit son petit monde. Ainsi, ne vous étonnez pas si dans son bureau, il vous surprend avec un :

"cela reste entre nous mais votre collègue , M. Untel, il a l'air un peu
fragile, non ?!"

"Vous savez, Mme XXX, tout le bien que je pense de vous : si tous vos collègues étaient comme vous...Oui, vous comprenez parce qu' il y en a dont on se passerait volontiers. Enfin, vous me comprenez..."

Comme tout chef, notre petit chef adopte la tactique (pour le moins éculée mais d'une certaine efficacité !) du "diviser pour mieux régner".
Le petit chef a des allures dignes, altières presque (nonobstant sa petite taille) et tout le monde au début se prend à louer sa justesse et à lui trouver des airs respectables. Seulement, l'apparence ne faisant pas l'homme, ses travers mesquins réapparaissent à la première occasion. Ainsi, dans son bureau, ne pourra t-il s'empêcher de confier à une personne qu'il croit (faussement car tout le monde est hypocrite avec le petit chef) être de son côté :
"vous avez vu, untel, elle s'est remise en ménage bien vite, après sa
séparation..."
Et nos deux compères de pouffer de conserve dans un rire complice, avant de reprendre le cours sérieux de leur entretien. Quand on est affecté à des tâches aussi importantes, on est bien en droit de se détendre un peu...
En gros, le petit chef, sous ses airs dignes, est une vraie "langue de pute"... nous le saurons vite car la majeure partie de ses subalternes, frustrés de devoir jouer un rôle aussi servile, s'empresseront, une fois sortis de son bureau de faire part aux autres de ce qu'ils viennent d'entendre...




Au pays d'Ubu, les petits sont chefs- vous l'aurez compris, et demandent aux plus grands de se rabaisser pour ne pas qu'on mesure à quel point ils sont petits. Ils attendent de leurs inférieurs qu'ils leur témoignent des signes tangibles de soumission (baisser les yeux à leur passage par exemple, comme nous l'avons dit ou écouter avec moult hochements de tête et autres signes d'acquiescement ostentatoires les monologues satisfaits du chef). Il sera vivement conseillé aux subalternes de flatter le chef...
Exemple classique (connu de tous) :
- "Blase, Mon bon Blase, flattez-moi"
- "Euh, Monsieur est ...Beau !"
Dans notre cas :
-"Qu'avez-vous pensé de notre réunion sur les projets pédagogiques de
l'établissement?"
[un grand moment d'ennui dans lequel nous écoutons le chef dire à quel point tout ce qu'il fait est bien et dans lequel il nous oblige à travailler pour sa propre gloire, sans que nous ayons le droit de le contredire]
-"C'était très intéressant. J'ai beaucoup aimé l'idée d'une commission de
travail visant à trouver des moyens de mise en activité des professeurs pour
stimuler l'appétence des élèves à la station assise pendant les cours. Très
instructif. Je pense que cela portera ses fruits même si tous les membres de la
commission sont des volontaires désignés."




Mais quand ils leur arrive de rencontrer des supérieurs hiérarchiques, les petits, d'habitude imbus de leur "haute" personne et plutôt autoritaires et hargneux, deviennent subitement obséquieux et serviles...
Eh oui ! car un petit chef a forcément un chef plus grand au-dessus de lui (même si celui-ci est encore petit).
Inutile de nous répéter ;tout ce que nous venons de dire plus haut vaut pour les relations du petit-chef avec son petit-chef supérieur et ainsi de suite, en remontant jusqu'au sommet, c'est-à-dire au nain-suprême qui lui, n'a de comptes à rendre qu'à Dieu.

Ainsi vont les choses dans le monde d'Ubu...

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