mardi 7 février 2012

Edito de M.Julliard dans Marianne-Janvier 2012

Nous qui ne lisons plus le Nouvel Obs depuis bien longtemps en raison de son démagogisme et de son goût très prononcé pour les innovations pédagogistes à la Meirieu avons beaucoup apprécié l'édito de M. Julliard dans Marianne qui a quelque chose d'un mea culpa...Merci M. Julliard !


Sarkozy contre les profs
Editorial de Jacques Julliard, Marianne 769, 14 janvier 2012

Le discours sur l’école de Nicolas Sarkozy au Futuroscope de Poitiers, le 5 janvier, est une excellente illustration du paradoxe actuel : un candidat non déclaré, Nicolas Sarkozy lui-même qui fait Une campagne électorale effrénée, au rythme de deux ou trois propositions par semaine ; un candidat déclaré, François Hollande, qui donne l’impression de rester en dedans de son action et de se réserver pour la suite.

Elle dira, la suite, quelle tactique était la bonne, mais il n’est pas trop tôt pour souligner que Nicolas Sarkozy, fidèle à lui-même, se livre jour après jour à un extraordinaire jeu de bonneteau, où il s’agit de saturer l’atmosphère par l’abondance dés propositions, de sauter de l’une à l’autre pour interdire toute discussion sérieuse, de jouer du paradoxe et de la contradiction avec le plus grand mépris pour les facultés mentales de l’électeur. Cet enfumage permanent ne doit pas masquer la réalité qui se cache derrière: ce qui est acceptable dans ces propositions n’est pas nouveau ; ce qui est nouveau n’est pas acceptable.

L’école, donc. On vous le dit : les profs ne sont pas assez présents dans les collèges et les lycées ! De la part d’un pouvoir qui a commis par ailleurs l’hérésie pédagogique là plus énorme du demi-siècle écoulé - la suppression des cours le samedi matin, et la réduction à quatre jours de la semaine pour l’école primaire - il faut tout de même un toupet phénoménal pour laisser entendre que c’est la faute des enseignants s’ils ne sont pas assez présents ! Car, on vous le dit encore, le métier d’enseignant doit changer : en dehors des heures de cours, le prof doit être à la disposition de ses élèves pour les recevoir, les conseiller, les orienter.

Mais, reconnaît avec bon sens le président, « il est insensé que, dans nos établissements, les enseignants ne disposent pas de bureau pour recevoir les élèves dont ils ont la responsabilité». Or, je ne sache pas que les constructions de collèges et de lycées nouveaux aient prévu cette innovation majeure. Les enseignants ne demanderaient pas mieux que d’avoir cet instrument de travail minimal. Imaginez une entreprise privée où l’on serait obligé de recevoir les clients dais les couloirs ou dans la rue. En attendant la construction des 100 000 ou 200 000 bureaux nécessaires, les profs continueront de voir leurs élèves au bistrot. Et la fameuse « présence » sera un pur argument électoral.

Autre exemple : la notation des professeurs. La substitution du chef d’établissement à l’inspecteur spécialisé, annoncée à grand son de trompe, est une étape majeure dans la dégradation des enseignants détenteurs d’un savoir en un corps d’assistantes sociales (sans le diplôme !) et de gentils organisateurs d’un grand Club Med auquel on conserverait hypocritement le nom d’Education nationale. Car, enfin, sur quels critères le chef d’établissement se fondera-t-il pour noter ses profs ? Le proviseur - supposons-le angliciste - assistera-t-il une ou deux fois par an aux cours du prof de physique ou de mathématiques ? Ou bien se fiera-t-il aux plaintes des parents, aux racontars des collègues, aux SMS des potaches ? Quelles que soient les insuffisances de l’inspection actuelle, la mutation proposée signifie clairement ceci : que le savoir est devenu une chose insignifiante, que tout ce que la société attend du « professeur », c’est son aptitude à encadrer les élèves, à éviter les « histoires » et les « embrouilles ».

C’est un travail de police de la jeunesse, au mieux d’animation, parce que la société a peur de ses adolescents et compte sur les enseignants pour les occuper, les distraire, en attendant qu’ils deviennent adultes. Merci pour le cadeau!

Conscient de l’énormité de ce qu’il propose, «je ne vois rien de choquant à ce que l’on confie au chef d’établissement cette évaluation », Nicolas Sarkozy ajoute immédiatement : « A condition que les compétences disciplinaires continuent à être évaluées par l’inspecteur »... C’est exactement la situation actuelle ! Qui croire ? Personne ! Que croire? Rien ! Mais, en attendant, le président aura occupé le terrain.

Alors, au bout du compte, que restera-t-il de ce discours ? L’idée que les profs sont des absentéistes, des fainéants, des individualistes et qu’il faut augmenter leur maxima de service ! C’est le discours convenu des vieux caleçons de la droite profonde, c’est le moment où le vieux-tonton-qui-a-réussi-dans-la-vie vous agrippe par le bouton de votre veste : «Je reconnais que vos profs font un travail utile et difficile. Mais avouez que ce sont de sacrés conservateurs ! Ils ne sont pas “modernes” ! »

Voilà ce qui se cache derrière le langage du président de la République : la sourde hostilité, remâchée depuis des décennies, de la France des nantis à l’encontre des enseignants. Le discours de la rentabilité et du maintien de l’ordre.

Alors il est nécessaire de rétablir la vérité, et l’opposition ne le fasse pas davantage. L’enseignement a toujours été un métier éreintant, devenu depuis peu un métier de chien. Demandez-vous pourquoi on ne trouve plus de candidats aux concours de recrutement, plus de jeunes disposés à jouir de cette sinécure : les 18 heures d’enseignement par semaine?

A la lourdeur des tâches professionnelles dans l’éducation s’ajoutent la pression consumériste des parents, la lâcheté des élèves, la démission de l’Etat. Je comprends mieux aujourd’hui ce que voulait dire Kant quand il affirmait que l’enseignement a deux ennemis : l’Etat et les parents d’élèves. Il faut défendre, sans esprit de recul, comme un des acquis de la civilisation et une garantie de la démocratie la liberté du professeur dans sa classe. Elle est un des derniers remparts contre la vulgarité de l’époque, contre la toute-puissance de l’argent, contre la marchandisation de la vie. Ne nous trompons pas de cible : ce n’est pas l’école qui est malade, c’est la société qui est pourrie. Pourrie par l’argent. Par la pub. Par le fantasme de la réussite matérielle. Par le conformisme.
Réformer l’école ? Oui, sans doute ! Mais d’abord la défendre !

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