mardi 7 février 2012

Baccalauréat cuvée 2011

juillet 2011 - Nous publions ci-dessous un texte qui a attiré notre attention et qui nous a été envoyé par un professeur de philo désespéré par le niveau des copies qu'il corrige. Attention, si ce texte est sans aucun doute "non politiquement correct", il ne peut pour autant être tout simplement condamné sans prendre au sérieux les réalités qu'il met en avant (l'inculture des candidats en l'occurrence). On le critiquera au nom du fait qu'il "discrimine socialement des catégories d'élèves" alors qu'il met en avant l'échec patent de l'un des fondements de l'idéal républicain : l'instruction publique et disons-le en même temps, de la démocratie (car comment celle-ci peut-elle fonctionner sans l'éducation de ses membres ?). C'est un thème sérieux dont il faudrait que la gauche s'empare...au lieu de laisser une droite peu scrupuleuse l'utiliser, en faire ses choux gras et ses slogans de campagne tout en accélérant la coulée du Titanic public aussitôt aux commandes...


"Comment supporter, cette année encore, d’entendre nos gouvernants et nos spécialistes en science de l’éducation se gargariser des nouveaux records de réussite au baccalauréat ? Comment pourrait-il en être autrement quand tout est fait pour que de tels taux, dignes de Républiques bananières soient atteints ? Cette année, on a confié le bac technique aux jeunes profs, m'a-t-on dit, car ils sont plus "cool"...En sur-notant les candidats, comme on nous y invite, nous collaborons bon gré mal gré à la grande entreprise de mystification qu’est devenue la distribution de cet examen. Dans les pays voisins, nul n’a cédé à une telle démagogie : en Suisse, comme en Allemagne, le lycée demeure un privilège des élèves véritablement capables et désireux de poursuivre des études supérieures (environ 30 à 40%), ce qu’accompagne, bien sûr, une véritable politique de promotion et de valorisation des études professionnelles, tant injustement dénigrées en France. En Allemagne, nul n'a besoin d'un "bac" (Abitur) pour réussir dans la vie et faire carrière: l'ascenseur social fonctionne encore un peu et ceux qui ont du mérite peuvent encore tirer leur épingle du jeu. En France, ce n'est plus le cas : la reproduction sociale a atteint des records eux aussi inédits ainsi que le taux de chômage des jeunes. Alors que fait-on ? On donne le bac à tout le monde en espérant ainsi acheter la paix sociale et s'exonérer de toute politique éducative professionnalisante sérieuse (qui coûte soit dit en passant plus chère que des études générales ne nécessitant aucun investissement en matériel).
Peu importe si la déroute de cette entreprise (90% des jeunes Français au Bac) est de plus en plus difficile à cacher : dans la France de nos idéologues, une réalité que l’on tait n’existe pas et « mettre le couvercle » sur les choses qui fâchent, véritable sport national, nous aidera sans doute à partager le constat de nos spécialistes : « le niveau monte »…

Bref, me voici, prof de philo, corrigeant des classes STI et STL (industrie et laboratoire) : 121 copies, 10 jours de correction parsemés de réunions. L’exercice n’est pas aisé mais le nombre de copies à corriger en un temps record n’est pas le principal problème. Celui-ci se résume, pour l’essentiel, à la question suivante : comment noter le Néant ? Comment noter l’indigent, l’inexistant, le rien ? Toutes les notes inférieures à 5 devront faire l’objet d’une deuxième correction, le 0 est tacitement proscrit car il exige un rapport… L'inspecteur nous a demandé de valoriser tout ce qui était "valorisable" (nous saurons gré par exemple aux candidats d'avoir passé un peu de temps sur leur copie, d'avoir usé un peu leurs stylos...)Dans l'éduc nat des Bisounours, tout le monde est gentil, tout le monde doit être récompensé pour ses menus efforts... Chaque copie est pourtant pour moi une douleur morale (l'épreuve du bac n'est plus une épreuve si ce n'est pour le correcteur...)

Comme on voudra faire croire aux intéressés qu’ils sont exactement comme les autres (impératif catégorique d'égalité démocratique), les élèves du technique auront à faire face à des sujets classiques de philosophie, c’est-à-dire au choix entre deux sujets de dissertations et une explication de texte, "on ne peut plus traditionnels" (à se demander si ceux qui les conçoivent savent à qui ils s'adressent...). Le premier sujet (« l’art est-il un moyen d’accéder à la vérité ? ») a été, sans surprise, très peu choisi, les candidats à ce bac n’ayant en général malheureusement pas une culture artistique et un capital culturel leur permettant de remplir le minimum syndical des 2 pages (avec saut de ligne) qu’ils se donnent généralement comme objectif. Bref, je n’y apprendrai pas grand-chose à part, quand j’aurai de la chance, que « l’art, de toute façon, ne sert à rien"(ce qui ne serait pas si mal si on pouvait accorder une quelconque valeur à l'inutilité)ou, pour les plus spécialistes que "Picasso est un peintre réaliste et cubiste". Les références ne sont pas le problème majeur : celui -ci réside plutôt dans l'incapacité des candidats à aligner deux ou trois phrases entretenant entre elles un quelconque lien logique.

Arrive le deuxième sujet qui est un véritable objet de torture moral quand je pense aux élections à venir et à l'idéal démocratique : « Est-ce la loi qui définit ce qui est juste ? » J’y apprends, là, par contre beaucoup de choses sur le niveau de culture institutionnel des candidats :

Extraits : « Les règles, les lois furent instaurer en 1849 dans une charte : La déclaration des droits de l’homme et du citoyen » ; « En France, tous les citoyens sont soumis aux mêmes règles écritent dans la déclaration officielle des droits de l’homme et du citoyens » (référence indépassable, la DDHC est le seul exemple de « loi » que les candidats sont capables de citer); « Plus le temps passe et plus il y a de lois car la population augmente et le gouvernement cherche à l’ordonner au maximum. Mais on peut facilement se douter que parmis cette montagne de lois, certaines d’entre elles sont mal conçues et présentent des erreurs. » (introduction) ; « Grâce à la loi un homme est égal et libre » ; « Quand on parle de la loi, on parle généralement des lois décidées et approuvées par le gouvernement ou le gérant d’un pays »; « juste est la racine du mot justice qui provient du champ lexical de loi » ; « la loi est une chose qui a été créé par l’homme » (tentatives de définition) ; « la loi est faite pour tout un pays pareil ; elle nous met dans le même sac considérant que se soit bien pour une majorité » ; « la loi est juste si celui qui la décrète le veux, du moins si il est extrêmement difficile d’établir un texte qui fixera des droits véritablement égaux à tous ou encore réservés à des catégories désavantagées » ; « les lois sont propres à chaque pays et sont décidé par le gouvernement » ; « il y a plusieurs sortes de lois, elles peuvent être données par un pays, par un foyer par un travail, par une entreprise…Nous ne sommes donc pas tous concernés par les mêmes lois. Mais au quotidient, on est tous litéralement entourés de lois »…

Concernant le sujet 3 portant sur un texte de Bergson relatif à la liberté, je ne serai pas mieux servie…Une candidate m’expliquera par le menu que la liberté, c’est avoir le choix entre un restaurant mexicain ou un restaurant asiatique mais que de toute façon, aucun n’est un bon choix car elle a des kg en trop. Un autre candidat m’expliquera qu’en France, on n’est pas libre car on n’a pas le droit de voler dans les magasins…Le reste est à l’avenant…

On lit à longueur de colonnes de journaux que le métier des profs a changé, qu’il leur faut intégrer leur nouvelle mission : éduquer. Nous n’avons plus pour seul rôle d’instruire ; il nous faut éduquer, divertir, récompenser les gentils « apprenants » …N’est-ce pas là un gâchis total d’argent public ? Former des certifiés et des agrégés hautement compétents dans leurs matières pour qu’ils finissent en «travailleurs sociaux », en instituteurs de jeunes adultes récalcitrants le plus souvent à tout apprentissage . Pour ma part, je ne rêve plus que d’une chose : quitter le navire qui coule, partir vers d’autres horizons où la qualification ne serait pas une chose dont on devrait avoir honte, aller vers des pays où le métier d’enseignant peut encore s’exercer dignement…Comptera-t-on les enseignants dans les statistiques de la « fuite des cerveaux » ou la comptera-t-on pour rien, au rang des pertes et profits de la République ?!"

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